Bonjour Jacques
Je suppose que tu t’attendais à cette lettre un jour ou l’autre…
Ou pas…
Espérant peut être qu’il ne se soit rien passé ou que ce soit oublié. N’ayant aucun doute sur les capacités du cerveau à oublier, je te fais un
rappel du sujet de mon courrier.
Tu te souviens de cet été où tu es parti seul adulte « responsable » avec quatre petites filles, si petites : tes filles Marie et Jade ainsi que deux de leurs copines Laure et moi, Sophie ?
Tu te souviens du camping sauvage, de la route et des baignades dans les rivières ?
Tu te souviens d’un matin où nous sommes tous allés nous laver à la rivière ? Ce matin où trois de ces enfants dont tu avais la charge sont réparties vers les tentes et où moi je suis restée un peu car je n’avais pas fini ma toilette ?
Tu m’as proposé de m’allonger quelques temps, qu’on se « pose un peu tous les deux », j’ai dis non que je ne voulais pas – oui je l’ai dit – tu as insisté te frottant contre moi,…
Tu t’en souviens ?
Je ne saisis toujours pas ce qui t’as poussé à ça mais moi, j’ai été terrifiée, tétanisée, je suis partie refusant de comprendre ce qu’était ce truc dur que j’ai senti dans mon dos quand tu m’as serrée contre toi…
La seule chose que j’ai su faire c’est partir, et me débrouiller pendant tout le reste du séjour pour ne pas me retrouver seul avec toi… la boule au ventre
Comment un adulte, père de deux adorables filles peut envisager un acte aussi malsain avec une copine de ses filles.
Comment peux-tu te regarder en face?
Ces questions me laissent sans voix, sans avoir la possibilité d’imaginer qu’il y ait une réponse possible… Mais je ne suis pas là pour faire un courrier rempli de haine à un homme dénué de bon sens et d’humanité.
Non j’écris car j’ai besoin de prendre mes responsabilités, j’aurais dû crier ce jour là, en parler aux filles ! Mais quoi ? Elles avaient le même âge ou presque, et aucun moyen de me protéger, de nous protéger contre toi.
Par contre, oui, j’aurais dû le crier à mes parents, dès qu’on est rentrés, leur dire ce qui s’était passé, leur raconter que je ne comprenais pas, que j’avais peur, qu’ils ne m’avaient pas préparée à ça, que vite, qu’ils m’expliquent, qu’ils me protègent, qu’ils protègent tous les enfants du monde entier contre ce genre de chose !
Et toi, as-tu seulement eu peur que je parle ? As-tu guetté mes paroles, mes non paroles, les réactions et les non réactions de mes parents ? As-tu eu peur de prendre un coup de poing dans la gueule de la part de mon père ? As-tu seulement eu conscience de l’horreur que tu avais commise ?
Mais non je n’ai rien dit, je t’ai laissé peut être croire que ce n’était pas grave, que ce n’était pas mal, que c’était normal ou sans importance…
En ça je suis responsable. Oui je suis responsable et c’est très difficile à assumer. Il aura fallu attendre mes 45 ans pour arriver à le faire.
Et ceux qui est encore plus difficile, c’est que je me dis que si j’avais parlé, tu n’aurais probablement pas couché avec une autre mineure, que tu as mise enceinte, une gamine qui avait à peine quelques années de plus que ta fille aînée, que tu as anéantie au passage ainsi que sa petite sœur Jade.
Je ne sais pas si tu as pris conscience du mal que tu leur as fait. Il vaut sans doute mieux pas…
Et puis comme tu étais pris dans ton propre piège, tu as détruit la vie de cette petite merveille qui est arrivée dans ce monde dans une ambiance si particulière… je ne suis pas sûre qu’elle soit née avec tous ses problèmes…
Alors oui, tu dois vivre avec ça, en en ayant conscience ou pas, et tes filles assumeront tes conneries…
Et moi, aujourd’hui je vis avec l’idée que si j’avais eu le courage de l’ouvrir, de te dénoncer, ça aurait été mieux pour beaucoup de monde. Oui pour beaucoup de monde !!
Mais je te laisse la culpabilité qui accompagne tes choix, oui j’aurais dû parler, te dénoncer mais tu n’as eu ni besoin de moi ni de personne pour te pousser vers tes travers… j’aurais peut être pu posé un obstacle sur ta route mais est ce que tu aurais ouvert les yeux ? Changé de chemin ? Pris conscience ? Rien n’est moins sûr et de toute façon, la question ne se pose pas puisque je n’ai pas parlé puisque je n’ai pas su parler, puisque je n’ai pas pu parler
Mais ce n’est pas non plus vraiment la raison pour laquelle je t’écris. C’est sans doute inutile et futile mais j’en ai besoin.
J’ai besoin que tu saches que Oui tu as fait ça.
Que Oui je m’en souviens Que Oui j’ai eu peur
Oui je n’ai pas compris Oui c’était mal
Oui tu n’aurais pas dû Oui ça m’a détruit
Oui ça m’a empêché de me construire de manière épanouie Oui ça a eu des conséquences
Que Oui j’aurais dû parler
Oui j’ai ma part de responsabilité
Mais que Oui tu es coupable
Et sache que ce que tu as fait est là, visible. Je le sais, je ne l’oublie pas, je ne l’oublierai jamais, mes proches le savent, d’autres aussi…
Rien ne pourra effacer ton acte. Il est.
Voilà ce que je voulais te dire : je sais Et je sais que toi aussi tu sais.
Fais en ce que tu veux.
Sophie .
Le 20 Mars 2021. Publié avec l’accord de l’auteure après avoir changé les prénoms.